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Bondoukou/Agressés et chassés par les braconniers : Les singes sacrés de Soko fuient vers le Ghana
Publié le : 20 juin 2017 par Diarra Tiémoko

photo DR
L'histoire de Soko, bourg situé à 7 km de Bondoukou, et à 3 km du village de Sempa, au Ghana, se confond avec celle des singes sacrés. Ces primates dont l'origine serait liée à l'arrivée du mythique Alhmamy Samory Touré, vers 1800, à Bondoukou, sont depuis une dizaine d'années, en proie à toutes sortes d'agressions. Les moins chanceux de ces plantigrades, terminent leur course en morceaux dans les sauces. Conséquence : cette complicité entre les singes sacrés et les humains ne relève désormais, que d'un vieux souvenir. Nous en avons fait le constat au cours d'une mission dans le département de Bondoukou.
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Naguère, le spectacle qu'offraient les singes sacrés de Soko, ne manquait pas de susciter curiosité et étonnement de plus d’un touriste. Une belle curiosité dont la renommée allait au-delà des frontières ivoiriennes. L'Eductour à caractère didactique initié du 2 au 5 juin 2017, dans le cadre du festival Adayé Kessié, dans le Gontougo, a été une occasion de constater que ce qui faisait la fierté de Soko, n'est aujourd'hui que l'ombre de lui-même. Pis, cette mission d'immersion et d'imprégnation au sein des familles, à Soko et dans les forêts environnantes, a achevé de convaincre que ce célèbre village, ceinturé par une rivière que borde une forêt galerie dont la faune est très riche en plantigrades de tous ordres, a perdu ce qui faisait sa singularité. C'est-à-dire ses singes sacrés qui constituaient en quelque sorte l'âme de la localité.
La cause de la rareté de ces simiens, résulterait d'une part, de ce qu'ils seraient de plus en plus victimes d'agressions de braconniers et autres individus sans scrupules. D'autre part, bon nombre de singes sacrés seraient l'objet d'une folie meurtrière des hommes. Juste pour une raison de pitance. Conséquence la confiance qui, jadis, régnait entre les singes et les populations de Soko, est rompue. Pis, cette complicité qui, autrefois, offrait un spectacle des plus insolite où les singes sortaient des forêts avoisinantes pour aller à la rencontre des habitants, a complètement disparu ; engendrant du coup, une grande peur des hommes chez ces singes sacrés qui figuraient au nombre des curiosités touristiques de la région du Zanzan. Pourtant, ce qui faisait par le passé le charme de ces primates, c'était cette cohabitation pacifique avec les habitants de Soko. Avec le pacte de non-agression qui régissait leur rapport, ils élisaient presque domicile dans plusieurs cours de cette localité, pour y manger ou faire ce qu’ils voulaient. Plus impressionnant, leur nombre s'accroissait généralement les vendredis.
C’est pourquoi, ceux qui voulaient satisfaire quelque curiosité, attendaient ce jour pour se rendre à Soko. Bref, la délégation de journalistes invités pour cette mission de familiarisation et de rodage de ce circuit dont l'objectif est d'aboutir à la création un Tour Operator dans le Gontougo, à partir du redécollage du festival Adayé Kessié, s'est rendue à l'évidence que les choses ont véritablement changé. L'état des lieux est édifiant. A preuve, sur les lieux, précisément dans une des forêts aux alentours, les efforts consentis avec l'achat de pain pour appâter les quelques singes sacrés encore en vie, après un intermède à la boulangerie, ont accouché d'une souris. La peur et la psychose de l'humain étaient perceptibles dans leurs regards.
Loin et perchés sur des branches, les singes ne daignent aucunement s'approcher du quadragénaire en charge de leur sécurité. Encore moins de la délégation invitée pour cet Eductour, dont le pain est resté suspendu jusqu'à ce qu'elle se résolve à lever l'ancre. Bien avant, un détour dans le village n'a permis de voir que visage de bois, en lieu et place des singes sacrés. La directrice du tourisme de Bondoukou, Tah Geneviève, qui nous accompagnait pour cette randonnée, a confirmé les allégations relatives au braconnage dont sont victimes les singes de Soko. Aussi, a-t-elle reconnu cette rupture de confiance entre les primates et les hommes. « Les singes de Soko sont victimes de récurrentes agressions durant ces dernières années. Beaucoup d'entre eux ont été tués. Ce qui a poussé la plupart à migrer vers le Ghana. Nous en avons retrouvés avec des impacts de balles sur le corps, et même avec des pieds cassés par des pièges », a déploré Mme Tah Geneviève. Puis de regretter que les rares singes encore présents à Soko, devenus de moins en moins visibles, préfèrent retourner se cacher dans leur habitat naturel, pour éviter de se retrouver dans les marmites de tenanciers de maquis et autres restaurateurs.
Sacralité et réalité
Le chef de la délégation de la mission d'immersion et d'imprégnation, Bini Daouda, par ailleurs, patron de l'agence Luxe Voyage, a donné l'occasion aux journalistes de voir quelques uns de ces singes sacrés perchés sur des arbres. Mais à une hauteur donnant l’impression d'une peur de l'humain. Nous avons passé le clair du temps à les attendre descendre en vain. Rien n'y fit, même lorsque nous cherchions à les appâter avec des morceaux de pain que nous leur tendions. Un aliment qu'ils affectionnent pourtant. L'intermède à Gbokoré, dans la sous-préfecture de Tanda, édifie également sur la menace qui plane sur les silures sacrés de cette rivière découverte par des guerriers Koulangos, vers 1800. « Avec les temps modernes, les gens ne respectent plus la sacralité des traditions. Il nous est revenu que des personnes viennent nuitamment pêcher les poissons de Gbokoré, pour les vendre à des restaurateurs de la ville. Ces gens ne sont pas du village », a informé le porte-parole du chef de Gbokoré, en se réjouissant que cette pêche nocturne dans la rivière sacrée n'ait pas pris une proportion inquiétante.
Avant de rappeler que la célébration de la fête des ignames consacre le rituel de la cérémonie d’adoration de la rivière. Bref ! Revenons aux singes sacrés de Soko. Quand nous accostons Téa Seman, un des stagiaires de la directrice du tourisme, il n'hésite pas, lui non plus, à porter un doigt accusateur sur le braconnage. Une pratique qui, à l'en croire, fait florès dans la région ces dernières années. Refusant de faire dans le tact ou la circonspection, il indexe une certaine connivence avec des habitants de Soko. « Si les choses ont pris des proportions inquiétantes, c'est dû à des gens sans scrupules, qui font fi des mythes ayant permis à Soko de tisser des liens sacrés multiséculaires avec ces plantigrades », s'est-il offusqué. Quant à sa patronne, elle se désolait de constater que la sacralité des singes de Soko s'est effritée suite aux crises successives qu'a connues la Côte d'Ivoire, à partir des années 2000.
Et de regretter que ceux qui en paient le lourd tribut, ne sont autres que les singes sacrés de Soko. Ensuite, la directrice du tourisme a tenu à lancer un appel aux autorités ivoiriennes face au danger qui guette ce patrimoine touristique ivoirien. « Au-delà de l'impact des actes des braconniers sur ces singes, c'est la mémoire historique de Soko qui risque de disparaître si on n'y prend garde», a prévenu Tah Geneviève. Non sans s'inquiéter qu'il n'y ait plus d'héritage à livrer à la génération future, relativement aux liens sacrés entre le village et les singes. Rappelons que selon la légende, les singes sacrés auraient une origine liée à l'arrivée de Samory Touré, redoutable guerrier, dont la menace d'invasion, a poussé les habitants de Soko, à demander au devin du village de les transformer en singes pour les sauver du massacre, et opérer leur métamorphose en hommes une fois le danger écarté. Malheureusement, le devin mourut peu de temps après, sans laissez l'antidote. C'est la raison pour laquelle le singe est devenu l'animal sacré et totem, qu'il fallait se garder de tuer ou de consommer.
DIARRA Tiémoko (Envoyé spécial à Bondoukou)
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Diarra Tiémoko
Journaliste Reporter
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