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Dialogue avec l’invisible : Comment des hommes politiques ougandais fétichisent pour leur ascension

Publié le : 17 juillet 2025 par DJOMANDE Aziz

VILLE DE KAMPALA (PH:DR)

VILLE DE KAMPALA (PH:DR)

A ce niveau, chaque détail compte, chaque rencontre devient prétexte à suspicion. A visage découvert ou dans l’ombre, des acteurs politiques ougandais mêlent croyances et stratégie pour arriver à leurs fins. Dans ce pays d'Afrique orientale où l’agitation politique rejoint parfois les sentiers des traditions ancestrales, l’ascension vers les hautes sphères du pouvoir ne se joue pas seulement devant les micros ou dans les urnes. Décryptage !

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À l’approche des échéances électorales, la rumeur court entre Kampala et les villages. Nombreux sont les responsables politiques qui multiplient, loin des regards, les visites aux guérisseurs traditionnels ou aux « docteurs » locaux de l’invisible, espérant décrocher le résultat escompté.

Des pratiques occultes pour se hisser au sommet

Dans ce pays où le christianisme règne, le recours secret à la magie, à la protection ou à la « chance » ne semble en rien avoir reculé devant la modernité. Bien au contraire, la forte demande pour ces services, confirmée par la sorcière Rose Mukite, révèle une dimension cachée mais bien vivante de la compétition électorale.

« Beaucoup de personnes viennent me voir quand la saison des élections approche », confie-t-elle. L’aide promise s’accompagne de « médicaments » à effet supposé décisif, pour garantir le succès du client et, par la même occasion, neutraliser la route des concurrents.

La crainte de la sorcellerie ou du fétichisme traverse même les gestes du quotidien. Certains candidats évitent les poignées de main suspectes ou surveillent de près leur entourage, craignant que l’esprit rival ne les accompagne jusque dans l’isoloir. Chaque détail compte, chaque rencontre devient prétexte à suspicion.

La cohabitation du triptyque christianisme, secret et syncrétisme

Ce phénomène ne se limite pas aux cercles du pouvoir ; il se familiarise avec un syncrétisme religieux bien ancré. L’Ouganda, façonné par des siècles d’histoire, voit coexister foi chrétienne affichée et croyances traditionnelles presque jamais revendiquées en public. Pour Steven Masiga, chercheur averti, « en période électorale, il est difficile de savoir qui gagne avec ses seuls atouts : des réseaux discrets relient le notable rural au citadin ambitieux, chacun cherchant à maximiser ses chances auprès d’un spécialiste des esprits ».

Dans cette double vie spirituelle, la frontière entre la foi et la superstition reste poreuse. La plupart des hommes politiques invoquent publiquement la prière, le jeûne ou l’assistance divine, tout en poursuivant dans le secret d’autres voies pour rassurer leur camp ou contrer la supposée influence adverse. Ce jeu de masques, rarement assumé au grand jour, répond aussi à la crainte d’être vilipendé ou tourné en dérision par une communauté urbaine de plus en plus sensible à une éthique politique moderne.

Car du côté des églises, la ligne ne bouge pas. Certains ecclésiastiques, perplexes, s’insurgent contre cet héritage. « Le christianisme ne se confond pas avec la quête de pouvoirs venus d’ailleurs », déclare Peace Khalayi, candidate parlementaire, fière de s’en remettre uniquement à la prière et au jeûne. Pour elle, tout autre recours relève de l’écart, voire de la faute, face à une foi exigeante.

Le tabou et la réalité se font dans la politique

La part d’ombre qui nimbe ces pratiques entretient un tabou parfois difficile à lever en public. Très peu de personnalités politiques osent confesser leur recours à la sorcellerie, par peur du ridicule ou de l’hostilité de la population. Pourtant, dans les coulisses, ces visites sont monnaie courante à chaque échéance décisive. Pour certains analystes, elles révèlent un rapport pragmatique au religieux, où l’on invoque la chance ou les esprits aussi facilement que l’on mise sur la communication politique ou l’argent.

Le président Yoweri Museveni, au pouvoir depuis près de quarante ans, s’est lui-même gardé d’ignorer l’influence de ces traditions, allant jusqu’à saluer publiquement le rôle culturel joué par les sorciers dans la vie ougandaise. Un positionnement qui contribue à renforcer l’acceptabilité sociale de ce double jeu, même si la frontière entre respect des traditions et soupçon de manipulation reste difficile à tracer.

L’invisible, un acteur dans la conquête du pouvoir

Dans ce climat, il devient ardu de démêler la fiction du réel, la croyance du calcul. Pour les uns, ce recours témoigne d’un pays encore mal à l’aise avec sa modernité ; pour d’autres, il enracine la politique dans la continuité d’un dialogue ancien avec l’invisible, où chaque candidat cherche à placer toutes les chances de son côté, visibles ou non. Les Ougandais, majoritairement chrétiens, continuent de composer avec ce syncrétisme imposé par l’histoire et la culture, entre espérance et crainte, foi et amulette.


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Article rédigé par

DJOMANDE Aziz

Journaliste Reporter

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