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Santé, éducation, …. : Au coeur de la détresse de plus de 9000 habitants coupés du monde à Nafana

Publié le : 16 janvier 2018 par Félix D. Bony

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Sur la carte de la Côte d'Ivoire, il est difficile de localiser la sous-préfecture de Nafana. Pourtant cette ville existe bel et bien sur la terre d'Eburnie. ''Naf Naf'', comme l'appellent affectueusement ses habitants, est une localité de la Région du Iffou, précisément du département de Prikro. A presqu'une cinquantaine de piste unidirectionnelle de la ville de Ouellé - ralliée de Daoukro elle-même par des dizaines de kilomètres de piste - ce bourg érigé en sous-préfecture depuis 1998, sous la présidence de Henri Konan Bédié (fils de la région), aura attendu 17 ans pour sentir les effets de la ville. Effets qui se conjuguent avec l'affectation de son premier sous-préfet encore en service. Depuis, Nafana respire un peu l'air urbain. Juste avec ses premières structures de base, dont son Centre de santé urbain (Csu), qui devait faire la fierté de ses 9034 habitants ou de la zone de 11 villages que couvre cette nouvelle sous-préfecture presque coupée du monde par son accès difficile tant par la route que par les autres moyens de communication. Avec cet isolement (Voir encadré), disposer du minimum pour prendre en charge ses habitants est une priorité pour les quelques cadres que compte ce gros village aux allures quelque peu moderne. De passage dans cette localité, à la faveur d’une mission liée à sa connexion au réseau électrique et de sa dotation en eau potable, nous avions pu y appréhender une grande urgence en matière de santé publique et communautaire. Il est vrai, la nouvelle ville dispose d’un Centre de santé, mais que de difficultés ! En effet, quand en 1989 son dispensaire urbain est érigé Csu, c’est avec beaucoup de joie que les populations ont dû accueillir ce changement. En plus de la touche du Conseil régional qui a bâti une maternité moderne en attente encore d’être inaugurée.

Centre de sante urbain de Nafana

Le Centre de santé urbain de Nafana, un bâtiment défraichi, isolé dans la nature, sans clôture et sans enseigne pour signaler ce haut lieu de soin

 

Pour tenir sa promesse de sortir Nafana de la précarité, après la visite d’Etat du président de la République dans l’Iffou en 2014, en effet, l’État a affecté un médecin en 2016, en plus d'une sage-femme et des infirmiers dans ce qui n’était jusque-là qu’un dispensaire urbain. Mais, qu’à cela ne tienne ! Ce beau petit monde aurait rendu d'énormes services aux populations de la localité si du point de vue structurelle, le Csu était véritablement pourvu en moyen. Hélas, en dehors de l’affectation de personnel, rien n’aura changé au dispensaire relevé au niveau de Csu, qui baigne dans un piteux état et semble n’attirer aucun malade. Rien qu’à la vue, cet hôpital interpelle. Car il n’existe presque que de nom, et c’est visiblement des miracles que l’équipe médicale qui y officie fait pour soulager des patients au quotidien.

Rien qu'à voir le bâtiment aux murs défraîchis, isolé dans un coin de rue et que les habitants présentent comme leur « hôpital », on comprend plus ou moins les hésitations de ces populations, elles-mêmes, à s'y mobiliser si ce n'est pour des cas d'urgence qui les y contraignent. A part la couleur bleu-clair sur du bleu Mitterrand de la peinture qui se détache, du reste, des murs, rien n'indique que ce bâtiment est un centre de santé. Point d'enseigne ni de signe pour l'indiquer. Sans clôture pour le tenir or des ballades des animaux errants, ni abri pour accueillir les patients, la cour de l'établissement sanitaire est transformée en raccourci pour des passants. La barricade de fortune érigée pour tenter de préserver l'intimité des lieux a bien l’air de ne servir à rien. Dans cette zone quasi-rurale, point besoin de souligner qu’il n’y a ni vigile ou de gardien pour surveiller cet hôpital ( !). Ce serait d’ailleurs un luxe pour cet établissement et ses pensionnaires.

malades debout dans la cour

Ces patients, dont une nourrice, attendent debout, à l’abri d’un arbuste, leur tour, pour être reçus par l’équipe médicale

 

Si de l'extérieur, le Csu de Nafana inspire plus de crainte que de confiance, pénétrer l'enceinte de cet établissement achève quasiment de dissuader les patients. Commençons par ce qui se présente au visiteur comme étant le bureau du médecin. Une salle mal tenue avec une table de fortune servant de bureau, deux chaises en bois en face, tout le confort du médecin des lieux se résume en son fauteuil de direction. La suite du décor ressemble à tout sauf celui d’un bureau de médecin affecté pour sauver des vies. Effets personnels, ordinateur, cahiers de registre et de transmission, tensiomètre, gel de main, tous ces matériels de travail se disputent l’espace d'une plate-forme en béton d’un lavabo sans eau, faute d'avoir un placard pour les ranger soigneusement. Inutile de revenir sur l'aspect des murs dont la dernière couche de peinture devraient remonter à des années lumières.

bureau du Medecin

Ce qui se présente comme étant le bureau du médecin, dont les effets personnels se disputent le lavabo faute d’un placard pour les ranger

 

Quid des autres salles ? Notamment de la salle de soin ? Autant dire du magasin ! Car il n’en a pas moins l’air. On a tout d’un vrai dépotoir servant à tout et pour tout. On y trouve un peu de tout. De la poubelle, des pots de peinture, une horloge géante en panne, des objets abandonnés, des bassines vides servant à recueillir de l'eau, le centre n’en disposant pas en permanence pour les soins. Dans un coin de la salle, on a réussi, tout de même, à aménager un coin pour la table de soin et un lit sous lequel sont rangés d'autres objets qui auraient pu trouver meilleurs emplacements ailleurs, loin des malades, que dans une salle de soin.

Salle de soin

Un magasin aurait permis de décongestionner la salle de soin où le malade s’expose à d’autres contaminations avec tous ces décombres

 

La maternité ? Existe—t-elle vraiment ? On vous répondrait par l’affirmatif sauf qu’on pourrait juste la réduire en la seule sale de 16m2 dans laquelle officie une jeune sage-femme, qui y attend des patientes. Celles-là encore qui pensent être plus en sécurité dans un hôpital que de prendre le risque d’accoucher dans leurs maisons. Point de table d'accouchement ni d’équipement adéquat. On se débrouille pour recevoir les parturientes et sauver des vies comme on peut avec le strict minimum. Ce sont au moins 8 accouchements par mois qui sont enregistrés, selon Dr Sylvestre Konan, qui fait noter également qu’au moins 300 consultations sont faites dans le même intervalle de temps pour diverses pathologies pour lesquelles le personnel soignant opère toujours des miracles. Le médecin et son équipe ont-ils vraiment le choix, quand la ville de Nafana est séparée du prochain centre de santé à Ouellé de plus de 3h de piste, sans ambulance pour évacuer d’éventuels cas d'urgence, encore moins de moyen de communication. A Naf Naf, il n'y a pas de téléphone. Même pas la téléphonie mobile devenue un outil banal aujourd’hui. La ville n'est connectée à aucun réseau. Pourtant, explique Dr Kouamé, qui démontre son attachement au serment d’Hippocrate, plus de  65 % de ses patients sont autour de 25km du centre de santé, qui ne dispose jusque-là pas de budget comme ce devrait être le cas. Alors qu’il est impossible d'être saisi des cas d'urgences qui se posent dans les villages sous la couverture du Csu sans qu’un agent n’y effectue le déplacement. Pourtant, il eut bien fallu que les infirmiers et lui disposent d'engins deux roues pour ce qu'ils appellent les «stratégies avancées » dans les campagnes. Sur les 9034 habitants, finalement, c'est seulement 19% qui fréquentent le Csu. Généralement des cas d'urgence, qui nécessitent sérieusement l'intervention des praticiens. Sinon, les populations préféreraient, avec ce centre de Santé aux apparences moins rassurantes, se tourner vers la médecine traditionnelle. Surtout dans cette zone musulmane réputée pour la prédominance de grands marabouts.

Bon an mal an, le médecin des lieux ne baisse pas les bras. Même s'il estime qu'il aurait fait encore mieux avec le strict minimum. Des besoins, il en a, mais se tourne toujours vers la providence pour les satisfaire. La providence qui viendrait sauver des vies avec son équipe et lui. Juste avec un minimum pour soulager des populations dans le besoin. Dr Kouamé pense qu’avec du matériel bio-médical, des thermomètres, des tensiomètres, des toises et même une simple balance à la disposition de son Centre de Santé, il tiendrait mieux son sacerdoce. Juste du matériel basic dont un Csu devrait disposer pour faire face aux cas de paludisme, d'infections respiratoires et de diarrhée, qui sont les maladies courantes dans sa zone de prédilection. Une ville en devenir dont le premier sous-préfet en exercice, Urbain Atty, et les fonctionnaires affectés, notamment les instituteurs locaux et des villages environnants, auraient souhaité disposer d’un établissement sanitaire équipé du minimum pour leur prodiguer, ne serait-ce que les premiers soins, en cas de nécessité.

L’école aussi….

Elle est loin d’avoir fière allure après plus d’un demi-siècle d’existence. L’école primaire publique de Nafana existe depuis 1964, soit 54 ans. Elle a vu passer plusieurs générations d’écoliers. Cette école de la campagne érigée aujourd’hui en ville souffre de son ancienneté. Elle a traversé le temps, mais, elle n’aura presque jamais été réhabilitée. Aussi, souffre-t-elle de ses murs lézardée, de l’étanchéité des toitures avec des tôles qui datent de depuis sa création, et même de l’insuffisance des tables-bancs avec le nombre de plus en plus croissant de pensionnaires. Les quelques tables dans les classes sont surchargées au point où beaucoup sont déjà abîmées et tiennent à peine pour contenir leur monde. Pis, l’école ne dispose d’aucune toilette, ni pour les enseignants encore moins pour les apprenants. Sans clôture, et délimitée par la forêt, l’on ne risquerait pas de parier que ses pensionnaires ont dû croiser la craie, à des moments avec quelques reptiles dangereux, qui ont pu s’aventurer dans les salles de classe. Lesquelles servent en même temps de bureau pour les instituteurs et leur directeur, qui malgré tout, essaient de trouver des ressources dans le sport pour décompresser et accomplir leur mission stoïquement. En témoignent les rendez-vous sportifs et les repas en partage qu’ils organisent pour se donner du bon temps et ne pas trop stresser de leur condition de travail, quand bien même l’action généreuse d’une âme prodigieuse pour eux serait salutaire.

ecole primaire publique de Nafana

Les écoliers aussi, sont loin d’être bien lotis dans ces salles de classes sans étanchéité, et sur ses tables-bancs abimés qu’ils se disputent

 

 

Encadré : 9 mille habitants coupés du reste du pays

Erigée en sous-préfecture depuis 1998,  Nafana a accueilli son premier sous-préfet en 2014. C’est aussi en cette même année que la nouvelle zone urbaine a eu l’eau et l’électricité. Les premiers signes du modernisme qui font la fierté des habitants. Mais Nafana, c’est aussi une localité coupée du reste de la Côte d’Ivoire. D’abord par la route. Une piste à une seule voie, qui serpente au milieu de la forêt, loin de l’axe principal de Ouellé à Prikro, lui-même non bitumé. Se rendre à Nafana, c’est la croix et la bannière pour le voyageur. Comme si cela ne suffisait pas, ‘’Naf Naf’ - comme l’appellent avec fierté les filles et les fils de ce bourg– ne connait pas le téléphone. Cette ville n’est pas connectée au réseau téléphonique ni par câble ni par satellite. Un véritable souci pour son administrateur, Urbain Atty, et les fonctionnaires, coupés de leurs familles et surtout de leur administration. Pourtant Nafana, comme l’a signifié le seul médecin des lieux, Dr Sylvestre Kouamé, c’est à ce jour 9034 habitants selon les derniers recensements. Un potentiel qui devrait intéresser les opérateurs du secteur, comme les transporteurs, qui ont commencé à desservir la localité.

 

Félix D.BONY

Envoyé spécial

 


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