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Orpaillage clandestin à Toulépleu: Des ex-rebelles libériens s’emparent de plusieurs sites
Publié le : 12 décembre 2015 par Armand B. Depeyla
(Photo d'archives pour illustrer l'article)
L’orpaillage sauvage, interdit sur toute l’étendue du territoire national par le gouvernement, avec, à la clé, le déguerpissement des orpailleurs clandestins dans certaines localités, a trouvé, à l’ouest de la Côte d’Ivoire, notamment à Toulépleu, un nouveau terreau de fertilisation.
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En attendant la rationalisation de cette activité, promise par le gouvernement, dans ce département frontalier avec le Liberia, des chercheurs d’or , d’une autre espèce, venus du pays de Mme Ellen Johnson Sirleaf (le Libéria), ont fait leur appariation depuis plusieurs années, notamment, dans la sous-préfecture de Tiobly. Ils sont arrivés par vagues successives, à la faveur de la crise post-électorale de 2010. Et depuis, ils se sont fixés dans cette localité. Une localité située à à peine 5 km de la frontière avec le Liberia. Ces orpailleurs se sont emparés, c’est le cas de le dire, de plusieurs sites d’or, avec la bénédiction de certains notables du village de Tiobly, mais aussi, avec un silence, à la limite de la complicité, des autorités sécuritaires et administratives de la sous-préfecture. « Je sais qu’il y a des Libériens ici dans la ville de Tiobly, mais j’ignore tout de leurs activités. Et comme ce sont des voisins, je ne peux pas les chasser de la ville », s’est défendu le sous-préfet, Kouassi Koffi interrogé, le mercredi 2 décembre dans ses bureaux. Parmi ces orpailleurs, de nombreux ex-rebelles libériens ayant, avons-nous appris sur place, combattu dans les rangs du National Patriotic Front of Liberia (Npfl, en français Front patriotique national du Liberia, Ndlr de Charles Taylor, qui avait fait sombrer son pays, le Liberia, dans une sanglante guerre civile. Ces ex-combattants du Npfl, qui se faisaient appeler les «scorpions noirs », contrôlent aujourd’hui la quasi-totalité des mines d’or de la sous-préfecture de Tiobly.
« Scorpions noirs »
Il y en a au total 4. Les mines d’or en exploitation se trouvent dans les bas-fonds et les cours d’eau qui ceinturent la ville de Tiobly. Cet état de fait n’est pas du goût de certaines populations, du fait d’éventuels risques d’insécurité qui peuvent en résulter. En fait, cette ruée des ex-rebelles libériens vers l’or dans cette localité, est source de grande peur et d’inquiétude pour les habitants. Mais, ceux-ci ne cachent pas leur impuissance face à ces gens très puissants et qui bénéficient de solides protections… De passage dans le département de Toulépleu, du 20 novembre au 5 décembre 2015, et exploitant une information sur la présence massive de ces ex-rebelles libériens dans la localité de Tiobly dans le cadre des activités d’extraction d’or, nous nous sommes rendu sur place, le mardi 1er et le mercredi 2 décembre 2015. La petite sous-préfecture de Tiobly nous accueille dans une atmosphère particulièrement détendue, qui ne laisse place à aucune inquiétude liée, notamment, à la présence de ces Libériens et des activités illicites d’extraction d’or, à laquelle ils se livrent. La peur est plutôt diffuse, mais présente dans les esprits de chacun des habitants. « Ces ex-rebelles devenus orpailleurs, nous font énormément peur, mais, on ne peut rien dire », nous souffle un responsable du Coges de la ville. Tiobly compte quatre sites aurifères très riches que contrôlent quatre groupements. Deux sont tenus, exclusivement par des Libériens et les deux autres occupés par des non nationaux venus d’horizons divers : Mali, Guinée … Un site, appelé « Gbêbly », est sur la route de Klobly, peu après l’école primaire et le centre de santé de la ville, dans un gigantesque bas-fond. Un sentier envahi de haute broussaille mène à cette mine, à la hauteur du cimetière de Tiobly. De la route qui mène vers le Liberia voisin, l’on entend le bruit de la moto-pompe qui extrait la boue aurifère. C’est ce premier site que nous fait visiter notre guide. L’on parcourt une centaine de mètre pour y accéder. Puis, s’étend sous nos yeux, le gigantesque chantier tenu par ces Libériens. Marchant à pas pesant, nous nous gardons de nous faire repérer. A une distance raisonnable, nous prenons furtivement, quelques clichés. Nous apercevons des hommes debout, d’autres, des bâtés en mains, à proximité de trous béants, s’attellent à laver la boue aurifère sortie des trous, pour espérer trouver quelques grammes du métal précieux. Ici, la langue parlée n’est autre que l’Anglais. Une odeur, très voisine de celle de l'herbe, qui rend fou, et la liqueur locale, nous bouclent les narines. Notre guide et nous, les écoutons, dans un silence de cimetière. Celui qui semble être le chef donne des ordres à tue tête, en anglais, à ses hommes. Ce chantier est interdit au public.
Pots de vins
Nous observons plus d’une cinquantaine de personnes à la tâche, la plupart torses nus. A l’aide de la moto-pompe et d’autres instruments artisanaux, ces orpailleurs font « parler » la boue, pour y extraire l’or. Le tamis de cette boue aurifère se fait à l’aide de vieilles carcasses de brouettes perforées. Selon notre guide, ils disposent d’appareils techniques qui leur permettent d’établir la carte de présence d’or et de mettre la main sur les gisements. Dans les cours d’eau, des veines d’or sont découvertes, au grand bonheur de ces ex-rebelles. C’est alors qu’ils entrent en négociation avec la famille, propriétaire du site. Ici à Tiobly, apprend notre guide, les sites en exploitation leurs ont été cédés par des familles, propriétaires coutumiers des domaines. C’est ainsi que, selon lui, le site de « Gbèbly » est la propriété du vieux Gbeh. Une superficie de 20 m sur 20, soit 80 m2 est négociée à hauteur de 50.000 Fcfa. Ils ont mis la main sur des centaines d’hectares, et peuvent extraire entre 25 et 50 grammes par semaine. Les transactions se font dans le dos du chef du village, le vieux Bourahima Augustin. « Il ne reçoit rien des transactions. Dès que les achats des espaces sont conclus entre le chef de famille et les orpailleurs, le sous-préfet avalise et l’ordre d’extraction est donné », soutient notre guide. Selon lui, une autorité locale « perçoit, la somme de 25.000 Fcfa par semaine, des mains d’un certain Diallo, puissant commençant dans la ville de Tiobly. La boutique de celui-ci trône au cœur de Tiobly. C’est lui qui achète tout l’or extrait dans cette sous-préfecture pour le revendre aux acheteurs qui arrivent de partout. Selon lui, certaines autorités militaires et sécuritaires de la sous-préfecture « perçoivent régulièrement des pots-de-vin de la part de ces orpailleurs clandestins, pour leur bienveillance à leur endroit ». Mais, le Sous-préfet Kouassi Koffi, que nous avons rencontré à son bureau, dans le cadre de nos investigations, a nié en bloc ces accusations, soulignant ne pas être informé des activités de ces Libériens à Tiobly : « Moi, je recevrais 25.000 Cfa par semaine de ces orpailleurs. C’est beaucoup d’argent. Mais, je vous dis que c’est faut. Il y a des Libériens ici, mais je ne sais rien sur leurs activités », nous a-t-il répondu, lorsque nous l’avons rencontré dans ses bureaux le mercredi 2 décembre 2015 à 12 h 57 mn. En attendant la construction de ses bureaux officiels, le sous-préfet de Tiobly squatte encore un pavillon des bâtiments d’un centre de santé… Sur le chemin de retour du site de Gbèbly, juste à la sortie sur la route de Klobly, nous tombons nez à nez avec deux orpailleurs libériens. Avec leur regard ''méchant'' notre sang fit un tour.
Diallo, le cerveau du système…
Nous leur lançons un sourire, auquel ils répondent, heureusement, amicalement. Avec notre Anglais approximatif, nous réussissons, tant bien que mal, avec l’aide de notre guide, à leur arracher leurs noms, leur lieu de provenance et la rentabilité de leurs activités. L’un dit s’appeler Eby, et l’autre look-boy. Ils ont entre 25 et 36 ans. Ils avaient en mains de grosses soupières contenant leur repas de midi. Ces orpailleurs viennent, pour la plupart, des villes libériennes de Totota, Tapeta, Zwedru, Ganta, Buchana, Harbel, Harper, Gbanrga, Greenville... L’exploitation d’or profite, certes aux orpailleurs-mêmes, mais beaucoup plus à Diallo, ce commerçant. Selon lui, il achète le gramme à 15.000 Fcfa. En nous remettant son numéro de portable, Diallo promet de nous livrer autant de quantité que nous voulons, pourvu que nous en fassions la demande, une semaine plus tôt. Information confirmée par Eby, le chef orpailleur. La sous-préfecture de Tiobly est entourée d’un important filon d’or et d’une grande concentration de gisements. Au point qu’aujourd’hui, ces orpailleurs, que rien ne semble arrêter, creusent dans les entrailles des cours d’eau et des montagnes qui entourent la ville. Un autre site est situé juste derrière le bureau du sous-préfet. Celui-ci dit « ignorer son existence parce que c’est dans la broussaille, je n’y vais pas ». Un troisième est dans les bas-fonds de Gueya, et le quatrième, baptisé « Kolawé » est situé sur la route qui mène de Tiobly à Bazobly. Ces deux derniers sites sont tenus par des Maliens et des Guinéens. Nous nous rendons sur les deux derniers sites. Celui de la route de Bazobly se dresse peu après une immense plantation d’hévéa appartenant à un enseignant du supérieur à la retraite. Ici, nous croisons un certain Ibrahim. « Nous travaillons par groupe de quatre sur le chantier. Nous arrivons, des jours, à extraire une bonne quantité d’or », nous révèle-t-il. Il nous informe sur la pénibilité des activités d’orpaillage. Ils opèrent, selon lui, en groupements bien organisés et bien structurés de 62 personnes par équipe. Il y a un chef de chantier, des creuseurs, des peseurs et les vendeurs. Ce sont donc un peu plus de 200 personnes qui travaillent dans l’extraction d’or dans la sous-préfecture de Tiobly. Aucun conflit, selon nos sources, n’a jusque-là été enregistré entre eux et les populations. Il faut dire, néanmoins, que le risque sécuritaire est grand, ainsi que celui d’empoisonnement de marigots et des bas-fonds avec les produits qui sont utilisés par ces orpailleurs dans l’extraction de ce métal précieux.
Armand B. DEPEYLA (Envoyé spécial à Tiobly)
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Armand B. Depeyla
Journaliste Reporter
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