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Malgré l'interdiction: Les sachets plastiques inondent les rues d’Abidjan
Publié le : 02 mars 2016 par Irene Bath
Les populations de Yopougon continuent d'utiliser les sachets plastiques et les déversent dans les ruelles des quartiers de ladite commune. (Photo : I.B.)
Les autorités ivoiriennes ont pris le décret n°2013-327 du 22 mai 2013 interdisant la production, l'importation, la commercialisation, la détention et l'utilisation des sachets plastiques en Côte d’Ivoire.
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Le samedi 8 novembre 2014 a marqué le début de l'application du décret. A peine deux ans après la mise en exécution de cette mesure, la réalité sur le terrain est tout autre. Les sachets plastiques reviennent en force, notamment dans la ville d'Abidjan où les rues en sont inondées. Notre reportage.
Les mauvaises habitudes ont la peau dure. C’est le constat qu’il convient de faire en ce qui concerne la mesure d’interdiction des sachets plastiques. En effet, cette mesure n’a eu que l’effet d’une simple annonce, parce que les sachets plastiques reviennent en force et inondent les quartiers d'Abidjan. Pour s’en rendre compte, il suffit de faire le tour des différents quartiers d’Abidjan. Le week-end du samedi 26 février a été le moment choisi par notre équipe de reportage pour sillonner Abidjan. Cette visite nous a conduit au rond-point de la commune d’Abobo, un carrefour qui grouille de monde ; au quartier Siporex à Yopougon, au marché d’Adjamé, ainsi qu'au carrefour Williamsville ; à la gare de Bassam, dans la commune de Treichville ; au grand carrefour de Koumassi et au marché de Port-Bouet. Le constat général qu'on fait à l’issue de ces différents tours est désolant. Abidjan est une grande poubelle à ciel ouvert. Les sachets plastiques de toutes les qualités jonchent les abords des rues. Quand ils ne sont pas jetés dans un coin de la route, ce sont dans des caniveaux. Le drame, c’est que des jeunes filles et garçons se faufilent entre les automobilistes, au vu et au su de tout le monde, y compris les autorités ivoiriennes et les citoyens lambda pour proposer des sachets d’eau à la population. Une activité très polluante, puisque le sachet, une fois vidé de son contenu, se retrouve systématique dans les rues, parfois sur la chaussée. A Yopougon, non loin d’une grande surface commerciale, plusieurs activités de conditionnement et de vente d’eau en sachets se sont développées. Les acteurs de ce business, enfermés dans des cours communes, se livrent à cette activité, pour échapper à la rigueur de la loi. Y.A. est producteur d'eau en sachet à Yopougon Siporex.
Des unités de production d'eau en sachets dans la clandestinité
Après plusieurs hésitations, il accepte de nous présenter son unité de confection d’eau en sachet. Sur la question relative à la provenance des sachets qui lui servent d’emballage, sa réponse est très précise. Il cite, sans hésitation, des entreprises qui exercent en zone industrielle de Yopougon. « Si malgré l’interdiction des sachets plastiques ces entreprises continuent de nous approvisionner, c’est la preuve que nous pouvons continuer aisément notre activité. Parce que c’est clair que la répression doit commencer en amont, avant d’atteindre le bas de l’échelle », affiche-t-il serein. La file d’attente de jeunes filles venues s’approvisionner en sachets d’eau est la preuve que cette activité se porte bien. Une jeune dame, informée des raisons de notre présence en ces lieux, lâche que la question de l’interdiction des sachets plastiques est à rechercher ailleurs. De l’avis de cette dernière, cette mesure d’interdiction n’est qu’une manipulation des grandes sociétés de production d’eau en bouteilles. « On veut seulement nous arracher notre pain de la bouche », accuse-t-elle, non sans menacer que quiconque voudra toucher à leur gagne-pain les trouvera sur leur chemin. Ce que cette dame oublie, c’est qu’au-delà de ces récriminations, la conséquence de tout cela est qu’après l’usage de l’eau, les sachets se retrouvent à tous les coins de rue dans les quartiers. Au rond-point d’Abobo, dans les environs de la mairie, des sachets plastiques jonchent également les abords de la route. Des vendeuses d'eau en sachet, interrogées sur la provenance de leurs marchandises, font la sourde oreille et refusent de nous orienter vers leurs fournisseurs. Dans le marché situé non loin de la pharmacie de la Mé, des jeunes filles et garçons proposent des sachets plastiques aux ménagères venues faire des achats. C'est pratiquement à un harcèlement qu'ils se livrent pour pouvoir écouler leurs sachets. « Tantie, y a sachets, tantie y a sachets », crient-ils à tue-tête, sans être inquiétés. Les commerçantes ont également leurs sachets à proximité de leurs différents étals. Après chaque achat, elles emballent soigneusement les marchandises dans les sachets en plastiques. Nous prenons le risque de demander à une commerçante si elle était informée de l'interdiction des sachets plastiques. Sans daigner nous accorder un regard, elle rétorque : « Il faut commencer par informer les Ivoiriens de cette décision d'interdiction, parce que chaque fois qu'ils viennent au marché, pour la plupart en tout cas, ils n'ont pas de panier. Et, lorsqu'on n'a pas de sachets pour les servir, c'est tout un problème ». La preuve que la mesure d'interdiction des sachets plastiques n'est pas encore passée à tous les niveaux de la population. Après Abobo, nous sommes à Williamsville, un sous-quartier d'Adjamé. Du carrefour du Zoo, jusqu'au carrefour Djeni Kobenan, non loin de la caserne d'Agban, les abords de la route et les caniveaux sont remplis de sachets en plastique, avec en prédominance, les sachets d'eau. Rien d'étonnant, au vue des vendeurs d'eau en sachets qui ont pris d'assaut ce carrefour.
Des magasins de sachets plastiques en plein cœur des marchés
Au marché d'Adjamé, précisément au quartier Saint-Michel, les sachets plastiques sont également présents. A Adjamé, nous nous faisons passer pour des acheteurs grossistes venus faire des achats importants de sachets plastiques. Une jeune fille se propose de nous accompagner vers un grossiste. Après plusieurs minutes de marche, nous nous retrouvons en plein cœur du marché Gouro. Contrairement aux grossistes que nous espérons rencontrer, nous sommes plutôt en face de demi-grossistes. La file d'attente est longue. Les clients se bousculent pour avoir des paquets de sachets plastiques. Le patron du magasin, un nigérien, demande notre commande. Nous lui demandons de nous conduire vers ses fournisseurs parce que nous voulons ouvrir aussi un magasin de vente de sachets en plastiques. Surpris par cette question, ce commerçant nous regarde et répond qu'il n'a pas le temps pour l'instant. Il nous propose de l'attendre. L'attente devenait longue. Pendant ce temps, des ballots de sachets en plastique sont livrés au propriétaire du magasin. Durant l'attente, nous nous renseignons sur le prix de demi-grossiste. Selon la couleur, la qualité, la taille du sachet et la quantité par paquet, les prix de 200 Fcfa, à 300 Fcfa, 900 Fcfa et 1 300 Fcfa. De petits sacs servant également à faire le marché sont proposés. Une vendeuse au détail de ces sachets, venue s'approvisionner, confie que ce commerce rapporte gros. Elle a avancé que le sachet bleu acheté à 25 Fcfa chez le demi-grossiste est revenu au détail à 50 Fcfa, soit un bénéfice de 25 Fcfa réalisé sur chaque vente. Pareil pour le sachet noir vendu à 100 Fcfa et qui en retour permet d'avoir un bénéfice de 50 Fcfa. Voyant la ruse du patron du magasin de ne pas vouloir nous accompagner vers son fournisseur, nous finissons pour lasser d'attendre et à quitter les lieux. Après Adjamé, nous voilà cette fois-ci à Treichville, à la gare de Bassam. C'est le capharnaüm. Des sachets plastiques, pour la plupart, des sachets d'eau jetés aux abords de la route. Les usagers de véhicules de transport en commun qui attendent le plein des véhicules pour le décollage jettent des sachets vide par les vitres de la voiture. Au grand carrefour de Koumassi, les caniveaux sont transformés en véritables dépotoirs de sachets en plastiques. A Gonzagueville, dans la commune de Port-Bouët, les sachets plastiques font la loi aux abords de la route.
Tuer le mal à la racine
Les rue d'Abidjan sont inondées de sachets en plastiques tout simplement parce que la mesure d'interdiction de la production, l'importation, la commercialisation, la détention et l'utilisation de ces sachets en Côte d’Ivoire n'a pas encore fait tâche d'huile. Si nous en sommes là, c'est bien parce qu'il n'y aucune action de répression contre les vendeurs de sachets plastiques. En effet, au vu et su de tout le monde, ces sachets continuent d'être vendus dans le commerce. C'est clair qu'ils continuent d'être produits clandestinement, malgré l'interdiction, mais, c'est faux de dire que l'écoulement se fait aussi dans la clandestinité. Parce que dans les différents marchés, des magasins proposent toujours ces sachets. Des jeunes filles et jeunes garçons vendent ces sachets dans les marchés. Sans oublier les vendeurs d'eau en sachets, les plus gros pollueurs. La solution à cette situation qui perdure, c'est tout simplement de tuer le mal à la racine. S'il n'est pas possible d'empêcher la production et l'importation de sachets plastiques en Côte d'Ivoire, on peut empêcher, par contre, la commercialisation, la détention et l'utilisation de ces sachets dans le pays.
Irène BATH
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Irene Bath
Journaliste Reporter
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