ACCUEIL Politique

Politique

Mamadou Koulibaly: « Les hôpitaux publics et le système de santé sont négligés pour les routes et les ponts »

Publié le : 12 mars 2015 par SYLLA Arouna

Le leader de Lider n'a pas été tendre avec le chef de l’État. (Photo d'archives)

Le leader de Lider n'a pas été tendre avec le chef de l’État. (Photo d'archives)

Des propos tenus par le président de la République, Alassane Ouattara, lors de sa dernière visite d’État dans le Bas-Sassandra, n'ont pas laissé indifférent le leader de Liberté et démocratie pour la République (Lider), Mamadou Koulibaly. Il répond au chef de l’État et donne son avis sur la crise au Front populaire ivoirien (Fpi), son ancien parti.

  • Partagez sur

Le président de la République vient d'annoncer, à San Pedro, qu'il fera une modification de l'article 35 de la Constitution après l'élection présidentielle de 2015. Vous devez être satisfait, vous qui êtes opposé à toute modification de la Constitution à des fins électoralistes ?

Mamadou Koulibaly : Non! Je ne le suis pas pour deux raisons. Premièrement, il dit qu'il peut le faire par la jurisprudence. Ouattara invente une conception de la jurisprudence qui est totalement différente et fausse comparée à celle des juristes professionnels. Mais laissons ce débat conceptuel qui est pour le moment sans intérêt. Deuxièmement, je constate que Ouattara recule dans sa volonté de modifier la constitution avant les élections après qu'il a perçu que la question de l'article 35 ne mobilise plus les foules autour de sa martyrisation. Il voit et constate que le débat sur cette question n'intéresse personne malgré le mélodrame qui s'est joué au Conseil constitutionnel. Quitte à être obsédé par des modifications, il serait utile pour la démocratie et l’apaisement ,que Ouattara se préoccupe de celles à apporter immédiatement au code électoral, à la commission électorale et à la liste électorale.

Si tant est que ce débat semble ne plus intéresser les gens, pourquoi le chef de l'Etat insiste-t-il alors là-dessus?

Allez-y le comprendre ! Il y a quelques années, il voulait une modification constitutionnelle après les élections de 2010, puis, il a changé d’avis une fois président. Il voulait la modifier avant les élections de 2015, il y a quelques mois, envisageant de modifier l'article 35 pour y inscrire une vice-présidence qui aurait eu à assurer la vacance du pouvoir en remplacement du président du Parlement dans l'actuelle constitution, l’élimination de la limite d’âge et un passage du quinquennat actuel au septennat qui lui aurait évité de faire des élections présidentielles en 2015, sous le prétexte qu'un referendum coûte cher et qu’il n'aurait pas pu faire la même année, le referendum et la présidentielle qui aurait été alors reprogrammée pour 2017. Entre-temps, Ouattara se serait maintenu au pouvoir.

Et, maintenant qu'il ne veut plus de révision constitutionnelle avant la présidentielle de 2015 ?

Maintenant, il ne veut plus de révision avant le scrutin, mais envisage de la faire après sa victoire programmée aux élections de 2015, et peut-être, nous faire passer avec cela à la troisième République. Vous comprenez bien que ces changements de perspectives de Ouattara résultent des changements de tactiques pour remobiliser son électorat. Et il sait que l'article 35, avec ses dispositions du "et" et du "ou", est devenu son fonds de commerce pour rassembler, à moindre frais, les populations nordistes et musulmanes, et la communauté dite internationale autour de lui. Ce qu'il vient de dire à San Pedro, le week-end dernier, n'est ni plus ni moins qu'une tentative pour faire de l'article 35 et de la révision constitutionnelle, le principal enjeu de l'élection présidentielle de 2015.

Voulez-vous dire que M. Ouattara veut tirer profit du débat sur la révision constitutionnelle ?

Ceci est très rusé de sa part. Comme cela lui a profité en 2000, puis en 2010, il pense cacher les désastres de son mandat derrière le paravent du "et" et du "ou", de l'âge limite pour participer aux élections, en fait, derrière de faux débats qui restent hélas son seul fonds de commerce face à la profonde déception de son électorat traditionnel, qui s'est très vite rendu compte que le discours du rattrapage ethnique s’est limité à la famille et au clan proche du pouvoir.

Quelle est votre position sur la révision de la Constitution ?

Je n’ai rien contre une modification de la Constitution après les élections, mais cela doit nous permettre de passer au régime parlementaire. Si Ouattara est tellement préoccupé par le coût des élections, j’ai une grande nouvelle pour lui : avec le régime parlementaire avec scrutin majoritaire à un tour, on ne fait plus qu’une seule élection à un tour, celles des législatives, au lieu des deux à deux tours (présidentielles et législatives, Ndlr), et le parti qui a le plus de députés désigne le Premier ministre ou le président de la République. Cela est non seulement beaucoup moins cher pour les contribuables, moins dangereux pour les électeurs et évite aussi beaucoup de fraude électorale, puisque les enjeux sont strictement locaux, et que le député qui perd à Tiebissou ne peut pas se rattraper en faisant bourrer les urnes à Tengrela ; pour que le même candidat ne se présente pas dans toutes les circonscriptions électorales de Côte d’Ivoire.

Certains estiment que, vu son bilan et ses réalisations, la victoire d'Alassane Ouattara est déjà acquise en octobre 2015, surtout qu'en face de lui, il n'y a pas de véritable opposition. Est-ce votre avis?

Dans chaque état-major politique, chacun croit en la victoire de son candidat. C'est de bonne guerre. Mais penser que comme il n'y a pas une opposition en face de Ouattara, ce dernier a déjà gagné, est un calcul politique qui relève de la propagande. L'opposition fait comme Ouattara lui-même. Elle s'organise et se prépare. Bientôt, elle se présentera à l'opinion et vous verrez. Ceux qui pensent qu'il n'y a rien en face de Ouattara auront l'occasion de réviser rapidement leur jugement. Ce qui assure pour le moment la victoire de Ouattara, c'est beaucoup moins le morcellement de l'opposition, qui est en train de trouver une solution, que le verrouillage despotique et illégal des Institutions en charge des élections. Ouattara a caporalisé et le Conseil constitutionnel et la Commission électorale. Il s'est inféodé les médias de service public, de la radio et de la télévision, en excluant tout débat politique et toute présence de l'opposition. Il étouffe financièrement ses adversaires politiques et maintient ses milices armées sur tout le territoire qui, dans la période électorale, vont se charger d'insécuriser les électeurs, les candidats, les urnes et les résultats.

A vous écouter, on pourrait dire que M. Ouattara a déjà gagné !

Ceux qui pensent que Ouattara a déjà gagné ne le disent que parce que sa machine à tricherie est en place et se consolide avec une liste électorale inexistante depuis quatre ans, en violation du Code électoral et de la Constitution. Nous sommes à huit mois des élections, et plus de 3 millions de personnes attendent de s'inscrire sur la liste électorale, après la confection de leurs cartes d'identité et de leurs cartes d'électeur. L'enjeu aujourd'hui pour l'opposition, c'est de manifester vigoureusement pour obtenir les meilleures conditions démocratiques pour les élections à venir. Elle s'organise et bientôt vous verrez.

Avec le soutien du Pdci dont il bénéficie, n'êtes-vous pas d'avis avec ceux qui pensent que le second mandat de Ouattara est déjà garanti ?

Non. Jusqu'à la proclamation officielle des résultats, je ne puis être de leur avis. Je les entends dire que Ouattara est «indéboulonnable». J'interprète cela comme une volonté exprimée que Ouattara s'accroche et s'éternise au pouvoir, comme un monument à la Staline ou Ceausescu. Or, notre Constitution nous impose une limitation de mandat. Je le vois comme une intention de faire sauter la limitation des mandats après les élections d’octobre pour se représenter encore en 2020. Indéboulonnable, ils disent. Nous, on dit tyrannie inacceptable.

Que ferez-vous pour empêcher ce que vous dénoncez ?

C'est pour cela que nous nous battrons pour obliger Ouattara à égaliser juridiquement les chances de tous les candidats aux futures élections présidentielles. Nous arrivons. Quand nous serons prêts, ils nous verront. Et nous les ferons, ces élections en 2015. Les pourcentages, on les aura après, pas avant. Ouattara se trompe d'époque et de génération. Si les élections sont transparentes, je ne vois pas comment il peut gagner. Mais comme depuis son arrivée au pouvoir, il ne fait que tricher avec la Constitution et les lois de la République, le défi pour nous, consiste à neutraliser toutes les sources possibles de tricherie qu'il est en train de construire, en ce moment-même, par la propagande, les effets d'annonce, l'impunité face aux détournements des fonds publics par ses hommes, le verrouillage des Institutions en charge des élections...



Quel serait alors, selon vous, l'enjeu des élections à venir?

Nous refusons que Ouattara nous ressorte son fonds de commerce pour en faire l'enjeu principal. Ce qui se joue ici n'est pas la révision constitutionnelle. L'enjeu des élections à venir, c'est le bilan de Ouattara. Il n'arrivera pas à détourner notre attention de cet enjeu. Son bilan politique est désastreux : il n'a rien fait pour la réconciliation et a, au contraire, encouragé la division et la segmentation du peuple avec sa doctrine du rattrapage ethnique.

Ne trouvez-vous pas que son bilan économique plaide pour lui ?

Son bilan économique est catastrophique, avec la montée du chômage à deux chiffres et du coût de la vie insupportable qui met de plus en plus de ménages dans une précarité incompatible avec les taux élevés de croissance. Cette situation n'est que le reflet de l'injustice flagrante dans la répartition des fruits de la croissance, et dans la hausse des impôts et taxes sur les secteurs productifs de l'économie. Ne parlons même pas de la dette qui est, en mars 2015, de plus de 8.300 milliards de francs Cfa, soit plus de 4 milliards de dollars avec une dette par tête en hausse vertigineuse.

Quid de son bilan social ?

Son bilan social plonge les populations les plus vulnérables dans le désespoir. Les hôpitaux publics et le système de santé sont négligés pour les routes et ponts. Les écoles et universités sont abandonnées pour les infrastructures en béton. La justice est devenue un instrument de vengeance des hommes au pouvoir... Ne parlons même pas du désarmement qui se trouve dans une confusion totale alors que les Forces armées nationales de Côte d’Ivoire (Fanci) ont été remplacées par la branche armée du parti de Ouattara, devenue Frci. Il ne faut pas se méprendre. Tels sont les enjeux des élections à venir. C'est le bilan de Ouattara qui est en jeu et rien d'autre.

Comment réagissez-vous à la promesse du président Ouattara d'investir 6 000 milliards de FCfa d'ici à 2020 dans la région du Bas Sassandra ?

Le président dit que dans les cinq années à venir, ce sont plus de 12 milliards de dollars de dettes supplémentaires qu'il ira chercher sur les marchés pour venir réaliser des projets publics. Des barrages hydroélectriques pour avoir le courant pour regarder des films à la télévision où la Rti transforme ses journaux en des éditions spéciales dédiées au chef de l'Etat. Des routes pour aller en semaine au bureau au Plateau ou à l'aéroport, et à la plage le week-end. C'est, sur cinq ans, une moyenne de plus de deux milliards de dollars par an. Il ne fait qu'engraisser l'économie au lieu de la muscler. Pour lui, la croissance de la dette suffit pour construire la croissance économique qui, elle, sera à la source du développement économique et social.

Pour vous, ce n'est pas la solution ? Est-ce cela ?

Pour moi, ce n'est pas la dette qu'il faut stimuler au départ, mais la confiance et donc la réconciliation. C'est la confiance qui stimulera l'investissement privé qui créera des emplois ; suivra une reprise économique d'où une croissance, avec des retombées sociales, sortira. Ouattara s’est trompé depuis 2011. Les montants faramineux de capitaux mis à sa disposition n'ont servi qu'à augmenter la dette et à rembourser les dettes anciennes, sans qu'ils ne créent les conditions d'amélioration de la productivité globale de notre économie. Comme lorsqu'il appliquait les plans d’ajustement structurel (Pas) qui ont tous lamentablement échoué, Ouattara fait complètement fausse route. Mais peut-on s'en étonner?

Je vous retourne la question !

Non, puisqu'il n'a pas de politique économique, mais juste un chapelet de dépenses publiques, sources de bien des détournements qui enrichissent les pontes du pouvoir, alors que ce sont ses adversaires que Ouattara poursuit pour crimes économiques.

Que vous inspire la crise au Fpi, votre ancien parti ?

Qu'il est temps que le Fpi vienne rejoindre la grande coalition électorale de l'opposition pour les grands défis et les enjeux dont j'ai parlé précédemment. Le temps est passé et les querelles vont s'estomper d'elles-mêmes. Chacun doit savoir maintenant tirer les leçons des erreurs du passé, et savoir ne pas se tromper d'adversaires. Nous cherchons le même port à partir de rives et d’embarcations différentes. Il faut maîtriser les douleurs, vieilles ou récentes, et arriver au port où tous les soins sont disponibles pour tous. Mutualisons nos efforts, nos intelligences, car plus que jamais, nous avons besoin les uns des autres.

Comment réagissez-vous au verdict dans le procès en assises contre les pro-Gbagbo?

Y aura-t-il alors un jour un procès en assises des pro Ouattara? Il me souvient quand même, et j'espère que nous sommes nombreux à ne pas avoir la mémoire courte qui atrophierait notre jugement, que le 8 août 2012, Mme Ezouehu Paulette Badjo, magistrate hors hiérarchie et nommée par Alassane Ouattara comme présidente de la Commission Nationale d'Enquête sur les violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire, survenues en Côte d'Ivoire dans la période allant du 31 octobre 2010 au 15 mai 2011, a déposé un rapport d'enquête qui établissait que, aussi bien les pro Gbagbo que les pro Ouattara avaient commis des crimes. Dans ce rapport, les Frci étaient responsables de 727 décès dont 54 cas dus à des tortures et mauvais traitements, 545 cas d'exécutions sommaires, et autres. Les pro Gbagbo, eux, avaient pour eux 1452 crimes du même genre, selon le même rapport. D'autres rapports de Amnesty International, de Human Rights Watch et des enquêteurs de l'Onu, ont divulgué des conclusions accablantes contres les pro Ouattara. Pourtant, depuis, il n'y a que les pro Gbagbo qui sont harcelés, emprisonnés, jugés, condamnés et très bientôt graciés pour démontrer la magnanimité du président de la République…

Le droit n'a-t-il pas été dit dans ce procès ?

Ce verdict est triste, car il n'est que l'expression de la vengeance justicière et non de la justice de Themis. À quand les arrestations des autres criminels qui sont pour le moment adoubés, promus, décorés, honorés et enrichis? Les victimes de cette crise attendent toujours qu'il leur soit rendu justice. On ne leur a servi que de la vengeance. Et cela est bien triste.

Réalisée par SYLLA Arouna

Sauf autorisation de la rédaction ou partenariat pré-établi, la reprise des articles de linfodrome.com, même partielle, est strictement interdite. Tout contrevenant s’expose à des poursuites


Sauf autorisation de la rédaction ou partenariat pré-établi, la reprise des articles de linfodrome.com, même partielle, est strictement interdite. Tout contrevenant s’expose à des poursuites.

Recevez le résumé quotidien de l’info en Côte d’Ivoire

La newsletter est gratuite et vous pouvez vous désinscrire à tout moment ! Profitez du meilleur de Linfodrome dans votre boite mail !

DONNEZ VOTRE AVIS SUR LE SUJET


Article rédigé par

SYLLA Arouna

Journaliste Reporter

LINFODROME NE VIT QUE DU SOUTIEN DE SES LECTEURS

Abonnez-vous à partir de 1€ et soutenez le premier quotidien en ligne 100% indépendant, sans financement public ou privé.